Rapport de conférence «L’accès aux archives en discussion»

Vice-présidente de la SSH et responsable du Département «Politique scientifique», Alix Heiniger a accueilli les participant·e·s au workshop et a souligné toute l’importance d’un dialogue entre sciences historiques et institutions d’archives. Elle a plus spécifiquement relevé la tension entre le principe de publication et celui de la protection des droits individuels (y compris la protection des données), qui se caractérise par deux mouvements antagonistes: des efforts croissants pour rendre les archives disponibles sous forme numérique en parallèle de restrictions grandissantes en matière d’accès aux archives. En conséquence, un échange entre historien·ne·s et archivistes est essentiel, ainsi que s’y consacre ce workshop.

Panel I: Accès aux dossiers du DDPS
Le premier panel a traité de la question de l’accès aux archives du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Michael Olsansky (Académie militaire à l’EPF de Zurich) a critiqué le traitement de plus en plus restrictif des demandes de consultation des fichiers du DDPS présentant un intérêt historique. Il craint un appauvrissement de l’histoire militaire suisse en raison de cet accès toujours plus restrictif à des documents jugés sensibles pour la politique de sécurité. Cette situation se manifeste par le nombre croissant de dossiers soumis à un délai de protection accru (Annexe III de l’Ordonnance relative à la loi fédérale sur l’arbitrage (OLAr)), dans lequel sont compris des documents qui étaient auparavant librement consultables. Pour Olsansky, le principal problème réside dans le manque de transparence des processus décisionnels et dans l’opacité des responsabilités au sein de l’administration fédérale.

Auteur d’une thèse de doctorat soutenue à Fribourg et traitant des objecteurs de conscience en Suisse entre 1960 et 1960, Niels Rebetez a dressé un tableau plus nuancé. Pour son projet, il a principalement consulté les dossiers juridiques du tribunal militaire. Au cours de ses recherches, il a été frappé par la facilité d’accès ainsi que par la richesse de la documentation produite dans les années 1960 et 1970. Toutefois, le volume du corpus diminue sensiblement pour les années 1980 et 1990, avec d’importantes parties n’ayant jamais été cataloguées dans les Archives fédérales, ce qui les rend difficiles d’accès pour la recherche.
Daniel Kohler (Bibliothèque Am Guisanplatz) a souligné que les ressources en matière de personnel au sein des archives du DDPS sont limitées, ce qui peut entraîner des retards dans les réponses aux requêtes déposées. Parmi les motifs invoqués pour un refus de demande de consultation, il a en premier lieu évoqué le caractère sensible de certains documents du point de vue militaire, en particulier lorsque ceux-ci concernent des infrastructures encore en service. Deuxièmement, un potentiel risque pour les relations que la Suisse entretient avec d’autres États peut potentiellement entraîner un refus. Troisièmement, les requêtes peuvent être refusées en vertu de la protection de la vie privée des individus. Il observe également une lecture plus extensive de la loi sur la protection des données, tout en insistant sur le fait que plus de 90 % des demandes de consultation des dossiers du DDPS reçoivent une réponse positive. Il a recommandé aux chercheur·se·s de se renseigner sur l’accessibilité des archives envisagées avant le démarrage de tout nouveau projet de recherche.
Panel II: Accès aux archives familiales
Le deuxième panel avait pour thématique l’accès aux archives familiales. Claudia Engler (Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne) a présenté la méthode d’archivage de la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, qui assure entre autres la gestion des archives privées des familles bourgeoises de la cité. L’accès à ce type d’archives est réglé par des contrats de droit privé et la Bibliothèque de la Bourgeoisie tient à gérer elle-même cet accès chaque fois que cela est possible. Engler a précisé que le maintien des relations avec les familles ainsi qu’une politique dynamique en matière d’achats constituent des éléments centraux de son travail.

Lionel Bartolini a exposé les missions des Archives de l’État de Neuchâtel en matière d’archives privées. Ce travail requiert un contact permanent avec les familles, de mener de nouvelles négociations en cas de changement de position quant à la gestion des archives privées concernées, d’assurer une politique d’acquisition active et de tenir compte de la sensibilité des familles par rapport à de potentiels préjudices de réputation ou des craintes quant à des demandes de réparation. Ces aspects sont d’autant plus centraux dans la mesure où, dans une telle situation, les Archives d’État encourent le risque que les familles décident de retirer leurs archives privées. En règle générale, les demandes des historien·ne·s sont traitées avec bienveillance. Toutefois, dans le cas du refus d’une demande de consultation, Bartolini les invite à faire preuve de compréhension quant à la situation délicate des Archives d’État, tenues de trouver un équilibre entre les intérêts des familles et ceux de la recherche.
Menant des recherches sur les rapports des familles patriciennes avec le monde colonial, Fabio Rossinelli (Université de Genève) s’est intéressé à des familles neuchâteloises et a connu des expériences diverses en lien avec leurs archives privées. Par crainte d’un dégât d’image pour sa réputation, la famille de Pourtalès avait fermé l’accès à ses archives privées après la publication du livre La Suisse et l’esclavage des Noirs (2005). L’accès à certains documents importants du fonds des archives privées de la famille de Meuron aux Archives de l’État de Neuchâtel a également été refusé à Rossinelli. De plus, l’accès aux archives privées de cette institution n’est possible qu’après une demande détaillée décrivant l’objectif de la recherche. Par contre, la famille de Pury a personnellement invité Rossinelli dans ses archives privées et l’a autorisé à y effectuer des recherches sans restrictions.1 Rossinelli a déploré l’absence de bases légales qui empêcheraient le risque d’un transfert à l’étranger d’archives privées déjà conservées en Suisse et a de plus souhaité une politique d’acquisition plus active du côté des archives publiques.
Panel III: Accès au projet de Digital Oral History
Dans le troisième panel, Heike Bazak (Archives des PTT) a présenté le projet d’histoire orale des Archives des PTT, qui rend de nombreuses sources vidéo librement accessibles. Des programmes de transcriptions IA y sont aussi utilisés et permettent de traduire des textes en dialecte vers l’allemand standardisé. Le projet doit permettre la sauvegarde de la mémoire historique des groupes professionnels et cherche à combler les lacunes produites par la faible compilation de dossiers d’archives dans les années 1990. Les Archives des PTT mettent librement à disposition les métadonnées des personnes interviewées.

Cord Pagenstecher (FU Berlin) a présenté le portail d’interviews Oral-History.Digital, qui rend accessible les sources d’institutions mémorielles telles que des musées ou des ONG. Deux projets d’histoire orale en cours se consacrent à la Colonia Dignidad et au travail forcé durant la Seconde Guerre mondiale. Afin d’assurer la protection de la personnalité des témoins, il est nécessaire de s’inscrire puis d’activer son compte afin de consulter les sources. Les métadonnées des documents spécifiques sont en revanche anonymisés et librement disponibles.
Gregor Spuhler (Archives suisses d’histoire contemporaine) a déclaré que 72 % des enregistrements sonores et 85 % des enregistrements vidéo des AfZ sont accessible numériquement après approbation d’une demande. Une part importante du corpus consiste dans des interviews de témoins de la Shoah. Alors que les logiciels de reconnaissance de texte IA ont permis d’abaisser les coûts de transcription de moitié, les coûts de stockage prennent l’ascenseur en raison d’attentes plus grande en matière de résolution d’images. Comme documents de remplacement, les transcriptions ne sont pas publiées sur internet sans restriction et les descriptions de séquences vidéo sont disponibles sous forme d’aperçu. Spuhler a fait remarquer qu’en cas de difficultés financières insurmontables, un plan d’urgence existe afin de comprimer les données et les transférer à la Cinemathèque Suisse, ce dans l’objectif d’assurer une conservation et un accès durable à ces sources.
En conclusion, il ressort de cette conférence que la problématique de l’accès aux archives reste un défi primordial pour la recherche historique. Cela se traduit non seulement par des interrogations sur l’accès aux sources sur le long terme dans le contexte de la numérisation, mais aussi par une interprétation de plus en plus restrictive de la protection des données qui menace particulièrement de paralyser la recherche en histoire contemporaine.
1 Dans une version antérieure de ce compte rendu de conférence, il était indiqué à tort que la famille de Pury avait personnellement invité Fabio Rosinelli, mais ne lui avait permis de faire des recherches qu’en présence d’une tierce personne.
À noter : Une courte vidéo de l’une des personnes impliquées a été enregistrée pour chaque panel. Ces vidéos présentent des expériences personnelles et des perspectives sur le sujet concerné. Elles ont été publiées au cours de la semaine du 25 novembre sur les réseaux sociaux de la SSH : Instagram, LinkedIn et X (Twitter).
L’événement a été généreusement soutenu par :
